On entend de plus en plus parler d’ubérisation de la formation. Qu’est-ce que cela signifie ? L’analogie est-elle pertinente ? 

L’ubérisation, terme inventé par le publicitaire Maurice Levy, désigne la remise en cause du modèle économique d’un secteur d’activité par l’arrivée d’un nouvel acteur proposant un service comparable à moindre coût en s’appuyant sur des indépendants et des plateformes de réservation numériques. Elle place l’utilisateur au centre du modèle en lui offrant la possibilité de choisir lui-même son prestataire via un outil simple et pratique et de noter ensuite son expérience à la façon de Tripadvisor. 

Soyons vigilants sur les termes

Qui dit ubérisation dit Uber et l’on ne saurait parler d’ubérisation sans établir de comparaison avec le fonctionnement de l’entreprise américaine précitée.  

En l’occurrence, Uber, qui soutient depuis l’origine qu’elle traite avec des entrepreneurs et non avec des salariés, a été récemment retoquée par la Cour suprême sur 4 critères : fixation unilatérale des prix de vente, fixation unilatérale des termes du contrat, pénalisation des travailleurs en raison de leur manque de disponibilités ou de leurs mauvaises appréciations clients. 

Si l’on fait l’analogie, on voit que la plupart des formateurs indépendants qui interviennent pour le compte d’organismes de formation sont régis par les mêmes règles. D’une part, prix et contrats sont fixés par l’OF. D’autre part, c’est un fait que les formateurs ne sont plus sollicités s’ils se montrent trop souvent indisponibles ou si les bénéficiaires pointent une quelconque défaillance. Ce modèle entraîne pour les formateurs indépendants une précarité sociale (absence de congés, d’avantages sociaux, de soutien administratif, de garantie contractuelle, etc.) comparable à celle des prestataires d’Uber.

Pourtant, malgré des similitudes, on ne saurait parler à ce niveau d’ubérisation pour la raison que les Organismes de Formation ne proposent pas encore de plateformes numériques permettant aux bénéficiaires de sélectionner eux-mêmes leurs formateurs en fonction de leurs profils ou de leurs évaluations précédentes. Les évaluations ne sont d’ailleurs pas à destination des futurs apprenants, mais uniquement de l’OF et de son client (dans le cas d’une prestation B to B). En outre, ce mode de fonctionnement est antérieur à la révolution Uber.

L’application CPF n’est pas non plus un avatar d’Uber. Il ne s’agit pas en effet d’une entreprise privée fixant elle-même les prix de vente des sessions et se rémunérant ensuite sur chaque prestation réalisée.   

Il faut chercher ailleurs…

En quoi consiste exactement l’ubérisation ? 

Qui dit ubérisation dit en fait innovation, compétitivité et surtout numérique. Une nouvelle manière de faire, des prestations moins chères et l’utilisation d’Internet. 

Les MOOC, les cursus diplômants sont des exemples de cette ubérisation appliquée au domaine de la formation professionnelle. L’innovation principale consiste dans l’énorme souplesse qu’offre l’outil numérique. Possibilité d’apprendre à distance, à la carte ; de choisir ses horaires, de ralentir ou d’accélérer le rythme des apprentissages. 

Cette grande souplesse est également valable pour les OF qui peuvent réduire leurs charges (plus de locations de salle ou de frais d’animation), augmenter le nombre des inscrits à chaque session (plus de limitation liée à une sphère géographique et/ou à la taille d’une salle), dupliquer des modules sans frais supplémentaires (dans le cas de modules entièrement numériques), etc. Ce nouveau modèle, plus économique, donne ainsi la possibilité aux OF de proposer des tarifs plus compétitifs et donc de couper l’herbe sous le pied de leurs concurrents traditionnels.  

Les années Covid, en faisant la part belle au distanciel, ont accéléré cette ubérisation. 

Limites de l’ubérisation

Pour que l’ubérisation soit complète, il faudrait satisfaire au dernier critère inhérent au modèle Uber, à savoir l’ouverture à de nouveaux profils. 

En effet Uber a considérablement élargi le recrutement des chauffeurs de taxi, notamment dans les banlieues, en permettant à de nouveaux profils de faire valoir leurs capacités et d’accéder à un emploi. Sur le même modèle, on pourrait imaginer une ubérisation du domaine de la formation allant jusqu’au « tous formateurs ». Puisque que nous avons tous quelque chose à enseigner sur la base des compétences et expériences qui nous sont propres, on pourrait ainsi envisager d’ouvrir largement les vannes du recrutement en ne retenant comme seule mesure d’efficacité que la satisfaction des utilisateurs (à l’exemple de ce qui se pratique sur la plateforme Uber ou d’autres plateformes du type Airbnb). 

Toutefois, ce dernier critère semble plus difficile à remplir puisqu’il va à l’encontre des tendances données par les réformes successives de la formation. Il existe ainsi, pour l’Etat, une grande différence entre une course en taxi et une formation continue, à savoir que la course en taxi n’est pas prise en charge par l’Etat (à l’exception évidemment des transports remboursés à certaines conditions par la Sécurité Sociale). Du coup, l’Etat ne voit pas d’objection à une ouverture du secteur à la concurrence. Il n’en va pas de même dans le cas de la formation continue qui perçoit l’argent issu des fonds publiques de formation. Ici, l’Etat entend s’assurer que les prestataires sont capables (c’est l’objet de la certification Qualiopi) et de confiance (c’est le but de la chasse aux sorcières lancée par la Caisse des Dépôts parmi les OF proposés sur l’application CPF). Toutes démarches qui repoussent l’idée d’une vulgarisation à terme du statut de formateur et, par voie de conséquence, d’une ubérisation totale de la formation professionnelle.

Approfondir

 

L’ubérisation, terme inventé par le publicitaire Maurice Levy, désigne la remise en cause du modèle économique d’un secteur d’activité par l’arrivée d’un nouvel acteur proposant un service comparable à moindre coût en s’appuyant sur des indépendants et des plateformes de réservation numériques. Elle place l’utilisateur au centre du modèle en lui offrant la possibilité de choisir lui-même son prestataire via un outil simple et pratique et de noter ensuite son expérience à la façon de Tripadvisor. 

Soyons vigilants sur les termes

Qui dit ubérisation dit Uber et l’on ne saurait parler d’ubérisation sans établir de comparaison avec le fonctionnement de l’entreprise américaine précitée.  

En l’occurrence, Uber, qui soutient depuis l’origine qu’elle traite avec des entrepreneurs et non avec des salariés, a été récemment retoquée par la Cour suprême sur 4 critères : fixation unilatérale des prix de vente, fixation unilatérale des termes du contrat, pénalisation des travailleurs en raison de leur manque de disponibilités ou de leurs mauvaises appréciations clients. 

Si l’on fait l’analogie, on voit que la plupart des formateurs indépendants qui interviennent pour le compte d’organismes de formation sont régis par les mêmes règles. D’une part, prix et contrats sont fixés par l’OF. D’autre part, c’est un fait que les formateurs ne sont plus sollicités s’ils se montrent trop souvent indisponibles ou si les bénéficiaires pointent une quelconque défaillance. Ce modèle entraîne pour les formateurs indépendants une précarité sociale (absence de congés, d’avantages sociaux, de soutien administratif, de garantie contractuelle, etc.) comparable à celle des prestataires d’Uber.

Pourtant, malgré des similitudes, on ne saurait parler à ce niveau d’ubérisation pour la raison que les Organismes de Formation ne proposent pas encore de plateformes numériques permettant aux bénéficiaires de sélectionner eux-mêmes leurs formateurs en fonction de leurs profils ou de leurs évaluations précédentes. Les évaluations ne sont d’ailleurs pas à destination des futurs apprenants, mais uniquement de l’OF et de son client (dans le cas d’une prestation B to B). En outre, ce mode de fonctionnement est antérieur à la révolution Uber.

L’application CPF n’est pas non plus un avatar d’Uber. Il ne s’agit pas en effet d’une entreprise privée fixant elle-même les prix de vente des sessions et se rémunérant ensuite sur chaque prestation réalisée.   

Il faut chercher ailleurs…

En quoi consiste exactement l’ubérisation ? 

Qui dit ubérisation dit en fait innovation, compétitivité et surtout numérique. Une nouvelle manière de faire, des prestations moins chères et l’utilisation d’Internet. 

Les MOOC, les cursus diplômants sont des exemples de cette ubérisation appliquée au domaine de la formation professionnelle. L’innovation principale consiste dans l’énorme souplesse qu’offre l’outil numérique. Possibilité d’apprendre à distance, à la carte ; de choisir ses horaires, de ralentir ou d’accélérer le rythme des apprentissages. 

Cette grande souplesse est également valable pour les OF qui peuvent réduire leurs charges (plus de locations de salle ou de frais d’animation), augmenter le nombre des inscrits à chaque session (plus de limitation liée à une sphère géographique et/ou à la taille d’une salle), dupliquer des modules sans frais supplémentaires (dans le cas de modules entièrement numériques), etc. Ce nouveau modèle, plus économique, donne ainsi la possibilité aux OF de proposer des tarifs plus compétitifs et donc de couper l’herbe sous le pied de leurs concurrents traditionnels.  

Les années Covid, en faisant la part belle au distanciel, ont accéléré cette ubérisation. 

Limites de l’ubérisation

Pour que l’ubérisation soit complète, il faudrait satisfaire au dernier critère inhérent au modèle Uber, à savoir l’ouverture à de nouveaux profils. 

En effet Uber a considérablement élargi le recrutement des chauffeurs de taxi, notamment dans les banlieues, en permettant à de nouveaux profils de faire valoir leurs capacités et d’accéder à un emploi. Sur le même modèle, on pourrait imaginer une ubérisation du domaine de la formation allant jusqu’au « tous formateurs ». Puisque que nous avons tous quelque chose à enseigner sur la base des compétences et expériences qui nous sont propres, on pourrait ainsi envisager d’ouvrir largement les vannes du recrutement en ne retenant comme seule mesure d’efficacité que la satisfaction des utilisateurs (à l’exemple de ce qui se pratique sur la plateforme Uber ou d’autres plateformes du type Airbnb). 

Toutefois, ce dernier critère semble plus difficile à remplir puisqu’il va à l’encontre des tendances données par les réformes successives de la formation. Il existe ainsi, pour l’Etat, une grande différence entre une course en taxi et une formation continue, à savoir que la course en taxi n’est pas prise en charge par l’Etat (à l’exception évidemment des transports remboursés à certaines conditions par la Sécurité Sociale). Du coup, l’Etat ne voit pas d’objection à une ouverture du secteur à la concurrence. Il n’en va pas de même dans le cas de la formation continue qui perçoit l’argent issu des fonds publiques de formation. Ici, l’Etat entend s’assurer que les prestataires sont capables (c’est l’objet de la certification Qualiopi) et de confiance (c’est le but de la chasse aux sorcières lancée par la Caisse des Dépôts parmi les OF proposés sur l’application CPF). Toutes démarches qui repoussent l’idée d’une vulgarisation à terme du statut de formateur et, par voie de conséquence, d’une ubérisation totale de la formation professionnelle.

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