La citation rapportée en en-tête est emblématique de l’américain Dale Carnegie, auteur d’une célèbre méthode de développement personnel adaptée au monde de l’entreprise. 

La formation remise en cause ?

Soyons clairs : cette étonnante punch-line dénie a priori toute légitimité à la formation professionnelle. Non seulement la formation ne serait pas une réponse à la problématique du chômage (conséquence d’une « inaction »), mais elle ne serait même pas une réponse aux besoins des entreprises. En effet, si la formation a pour but un transfert de connaissances à des « apprenants », c’est qu’elle se donne pour mission de lutter contre l’ignorance. Et si l’ignorance n’est pas le problème, alors la formation n’est pas non plus la solution…

Pourtant ! Comment expliquer l’importance accordée au secteur par le ministère du Travail (CPF, Qualiopi, FNE, CFA, OPCO, etc.) ? Pourquoi un tel corpus législatif, et les milliards d’euros dévolus à France compétences dans un moment où l’économie du pays est fragilisée par les suites de la crise sanitaire ? Pourquoi une aussi grande variété d’offres (présentiel, distanciel, blended-learning, alternance, etc.) ? Et pourquoi la formation continue enregistre-t-elle ces dernières années des records si elle ne répond pas à un problème, c’est-à-dire à un besoin ? 

Si la phrase de Dale Carnegie est pertinente, on s’explique mal un tel focus et un tel succès. Surtout, on peine à deviner quelle « action » peut permettre :

-              de lutter efficacement contre le chômage en mettant en adéquation les énergies inemployées et les postes vacants, 

-              d’ajuster les actifs aux nouveaux outils numériques (robotisation, Intelligence Artificielle, etc.),

-              d’anticiper la mutation rapide des métiers (85% des métiers de 2030 seraient encore à inventer).

L’action de formation

A première vue, la formation n’est pas cette quantité négligeable que semble suggérer Carnegie. Mais alors quoi ? Est-ce à dire que son affirmation est absurde ou constitue une espèce de paradoxe ?

Je ne le crois pas. Pas, du moins, si l’on donne à la locution « action de formation » un sens propre. La formation en 2024 n’est pas une leçon, mais bien une action. Ainsi, un apprenant est d’abord un participant qui s’implique dans un parcours pédagogique où les connaissances transmises, même lorsqu’elles sont strictement théoriques, sont toujours pensées et abordées sous l’angle de « compétences ». C’est-à-dire de la capacité à réemployer concrètement ces connaissances. Autrement dit, à agir. 

Ce n’est pas un hasard, du reste, si les nouvelles pédagogies (ludopédagogie, tableau blanc interactif, etc.) mettent toutes l’accent sur l’interaction et l’intelligence collective. Toutes cherchent à favoriser la prise en main effective par le groupe d’apprenants de son temps de formation. 

La formation, sous l’impulsion des neurosciences, a désormais pour objectif de proposer une expérience. Faire en sorte que cette parenthèse privilégiée laisse une trace émotionnelle la plus profonde possible. Humour, storytelling, effet waouh : le formateur articule aujourd’hui ses modules comme les chapitres d’un livre ; les actes d’une pièce de théâtre. Dans ce nouveau paradigme, il est moins un enseignant qu’un animateur/facilitateur. Par les activités qu’il développe, les questions qu’il pose, il pousse les participants à réinterroger leurs propres expériences, faisant ainsi remonter à leur conscience, dans une logique socratique, des idées jusque-là non formulées. 

Pour faire simple, la formation doit faire réagir pour mettre en action les apprenants et agir sur eux d’une manière durable. 

L’apprenance, mode et moyen d’action

L’apprenance, qui suppose la curiosité en mouvement et l’envie d’apprendre tout au long de la vie, est aujourd’hui une compétence à part entière que la formation affûte et révèle. 

Lorsque les hard skills (compétences techniques) sont obsolètes au bout de 2 années seulement, l’apprenance est certainement notre meilleur mode de survie et notre meilleur moyen d’action. Le monde professionnel est ainsi devenu un microcosme darwinien où la vertu fondamentale, dans la concurrence pour le travail, est désormais l’adaptabilité. La faculté de « réagir ».  

Si l’on observe les statistiques, on remarque que cette faculté est aujourd’hui davantage le fait des jeunes et des cadres. Les seniors et les actifs les moins qualifiés, dont les besoins d’adaptation sont pourtant les plus importants, ferment paradoxalement la marche. Pourquoi un tel constat ? Parce qu’il existe une culture de l’action d’apprenance comme il existe une culture numérique. Une culture que l’on possède ou que l’on ne possède pas. 

Pour cette raison, le bilan de l’application CPF est actuellement mitigé. D’un côté, le Compte Personnel de Formation présente l’avantage de montrer à chaque actif qu’il est acteur de son propre curriculum vitae et lui offre la liberté de gérer son parcours professionnel en toute autonomie. Mais de l’autre, il ne tient pas suffisamment compte du fossé culturel qui sépare les utilisateurs de la formation et les non-utilisateurs. 

Laisser la responsabilité de se former à des personnes qui n’en ont pas intégré le principe ne saurait amener des résultats probants. 

Évidemment, des Conseillers en Evolution Professionnelle (CEP) ont été mis en place pour accompagner les actifs dans cette action d’apprenance, mais la démarche reposant là encore sur le volontariat n’a pas permis à ce jour de combler le fossé. 

L’Etat se contente pour l’instant de diffuser de l’information. Seulement voilà : comme le disait fort justement Carnegie, « le problème n’est pas l’ignorance, mais l’inaction » ;-).

https://fr.wikipedia.org/wiki/Dale_Carnegie

https://dares.travail-emploi.gouv.fr/donnees/les-emplois-vacants

https://rh.sia-partners.com/20180109/10-leviers-pour-booster-la-formation-professionnelle-avec-les-neurosciences

https://www.centre-inffo.fr/site-centre-inffo/actualites-centre-inffo/le-quotidien-de-la-formation/articles-2021/comment-rendre-lindividu-veritablement-acteur-et-auteur-de-sa-vie-professionnelle-afref